lundi 9 janvier 2017

Le zen des pommiers


La créativité dérange. À mon grand chagrin, je souffre parfois du syndrome d’Icare. J’ai une tendance de voltiger vers la lumière de la pensée abstraite avant de prendre une simple décision. Mon côté cartésien, aussi minime qu’il soit, parvient parfois à se dresser la tête pour me dire qu’avant que je puisse mesurer un impact, que tout est une probabilité. La mécanique quantique est plus directe. Les choses sont ou elles ne sont pas. Le post-modernisme dicte que tout est une construction sociale. Ensuite, il y a la notion bouddhiste, celle de vacuité, que les choses n’ont pas de valeur intrinsèque et que leur existence dépend de l’observateur. Je cède donc à mon instinct et je consulte mes pommiers comme on écoute la mer dans une conque. C’est le zen des pommiers qui me guide sur l'impact de ma présence dans la nature.

C’est vachement simple. Je suis une nouvelle adepte de la sagesse tranquille des vaches et des brebis du coin de mon pays dans Charlevoix. Ce sont eux qui décident où poussent les arbres fruitiers, ces pommiers rustiques avec leurs formes tourmentées sculptées par le vent du large venant du fleuve. Mes voisins, qui connaissent l’histoire de ma propriété avant mon arrivée, me racontent que c’était jadis un pâturage où les vaches et les
brebis se régalaient des fruits abondants des pommiers sauvages. Les graines de pommes digérées étaient évacuées de façon aléatoire dans un médium parfait. Conséquemment, il y a des pommiers de toute sorte qui croissent depuis plus de 50 ans sur notre terrain. Au cours des trois dernières années, nous avons appris à les connaitre comme s’ils avaient tous une personnalité distincte. Nous nous sommes rapprochés de la nature en travaillant avec nos pommiers.

Notre terrain avant le grand dérangement.
En automne vint le grand dérangement. Notre projet de construction implique l’implantation de la maison, de la fosse septique et du champ d’épuration assignés par l’arpenteur géomètre. À mon grand désarroi, il a fallu sacrifier quelques arbres. Nous n’avions pas le choix. Pour les survivants, nous les soignons en recensant leur population. Nous sommes impressionnés de voir comment certains ont survécu au temps. Voilà donc notre nouvelle courbe d’apprentissage, celle dictée par la sagesse bovine et ovine qui nous a fait découvrir le zen des pommiers.
Le début de la construction.
Cet éveil a été confirmé lorsque les pelles mécaniques sont arrivées pour faire l’excavation. Ayant déjà vécu dans un milieu urbain, je connaissais la valeur d’un arbre dans les nouveaux lotissements domiciliaires où le promoteur avait abattu tous les arbres, pour planter des chicots. Les oiseaux ont pris deux ans à revenir. Tragique n’est pas le mot pour le décrire. Désolant et malsain seraient mieux. Donc, cet éveil était au-delà d’une simple volonté et elle se conjuguait bien avec notre but de construire une maison écologique en suivant les normes de LEED v4. Il était évident que le côté écolo de la gestion du chantier ainsi que l’aménagement final étaient des valeurs sures.
Nous avons passé beaucoup de temps sur les plans de la maison pour qu’elle fasse partie de son environnement naturel. Il fallait maintenant penser au terrain. Les premiers jets sur papier révèlent des jardins en forme de mandala avec des sections d’herbes médicinales, aromatiques et d’un potager de cuisine. Nous songeons également à la permaculture, hugelkulture et xéropaysagisme. Nous n’avons pas de tondeuse. Un entrepreneur en paysagisme fermait son commerce et nous avons acheté ses tables, donc le potager sera surélevé et à notre portée. Les autres secteurs du terrain se voient plus voués à la culture des arbres fruitiers comme les poiriers et les pruniers, pour ne pas oublier les bleuetiers. Les framboisiers poussent en abondance, mais ont besoin d’être apprivoisés. Il faut aussi voir à une coupe sélective pour contrôler les aulnes qui étouffent les conifères et les bouleaux. Nous voulons intégrer encore plus de sapins baumiers et des mélèzes. Finalement, je veux avoir un petit espace pour écrire et méditer dans un jardin secret.

Les exigences de LEED v4 pour l’aménagement écologique du site demandent un plan de gestion pour les composants naturels du site afin de minimiser l’impact environnemental. Ceci se fait en réduisant l’utilisation de produits chimiques, en évitant de gaspiller l’énergie et l’eau, en ne polluant pas l’air et en contrôlant la quantité de déchets solides. Le contrôle de l’érosion et des sédiments rentrent en ligne de compte pour l’aménagement paysager. Les consignes sont sévères. Il faut réacheminer un minimum de 95% des déchets paysagers à l’aide de déchiquetage, du compostage et fournir une zone de collecte des déchets paysagers. Il faut réduire l’utilisation d’équipement motorisé, améliorer le contrôle des eaux pluviales, prendre des mesures antiparasitaires, créer un habitat naturel pour la faune, retirer les plantes envahissantes et protéger les zones naturelles.  Afin de réduire les besoins en matière de climatisation et de chauffage, un choix judicieux de plantes s'impose. Le mot clé revient à la biodiversité en conservant les habitats naturels existants et en restaurant les habitats endommagés. Ce n’est pas une mince affaire, car tout doit être mesuré et documenté. Pour ce faire, nous avons embauché la compagnie AIM Éco-Centre de St-Augustin de Desmaures pour le transport et la disposition des matériaux secs ainsi que les métaux ferreux et non-ferreux. Cette entreprise possède un centre de tri de haute technologie, une très grande qualité des produits recyclés et de l’expérience dans la norme LEED. Le Centre nous accompagne dans notre démarche écologique en assurant le maximum de produits valorisés en matière recyclée. Même si notre première stratégie est de détourner les déchets du site d’enfouissement par le recyclage, la réutilisation ou donation pour réutilisation et le broyage du bois comme paillis, nous devons maintenir une pratique exemplaire, car l’évaluateur écologique pour la certification fera une vérification des documents du calcul du taux de détournement basé sur le poids ou le volume. En ce moment, c’est mon dossier. Mon bureau est le conteneur où je veille religieusement pour faire le tri en préparation de mon jardin. Conséquemment, après trois mois de construction, le conteneur est presque vide.

Pour être à l’affut des pratiques écologiques locales et des particularités de sa zone de rusticité, nous sommes membres de la Société d’horticulture et d’écologie de Charlevoix où, par le biais de conférences et d’activités, nous recevons une formation  par des experts-conseillers. En réseautant avec les membres, nous avons reçu de précieux conseils quant au matériel de construction qui peut être revalorisé dans l’aménagement paysager.
C’est un lien privilégié de vivre en campagne sur le bord du fleuve Saint-Laurent. Tout comme les pommiers qui sont arrivés avant nous, nous puisons notre énergie tellurique pour nous enraciner instinctivement dans la nature. Il ne faut pas déranger ce qui est arrivé avant nous. Les deux pieds dans la terre, le regard vers le ciel, nous faisons comme les pommiers et c’est rassurant. La protection de l’environnement est un acte spirituel et conscient. Nous sommes tous soumis aux lois de la nature. En suivant la sagesse des pommiers avec leur approche zen, nous avons trouvé notre place sur le bord du fleuve à Saint-Irénée.

 

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