samedi 19 décembre 2015

La beauté inhérente de l'architecture des immigrants


Griffintown 1896
Je suis une flâneuse subversive. Pendant que je marche dans Griffintown, un des quartiers les plus anciens de Montréal, je pense aux symboles d’outre-tombe ou plutôt à ce prolongement d’une conscience qu'une époque hante encore son ancien quartier. Cette conscience, je la perçois dans le langage secret de l'architecture. Je la recherche pour qu'elle me parle. Je veux qu'elle m'explique pourquoi un quartier, qui puise ses racines irlandaises enfouies dans la misère, nous porte à croire qu’il y a une beauté inhérente dans l’architecture qui a habité tout ce grand dénuement. Pourtant, les édifices stoïques sont loin d’être opprimants malgré leur caractère autoritaire qui nous rappelle la situation économique qui les a érigés. Je pense à ma mère quand on marchait dans la basse-ville à Ottawa et qu'elle jetait un regard attendri sur les vieilles maisons qui soupiraient le long des rues qui avaient connu l’accent des Franco-ontariens et des familles juives au début du siècle dernier. Elle disait toujours dans un demi-soupir : ah si les murs pouvaient parler. Je ne me souviens plus si je pouvais détecter un sentiment de regret ou de résignation, mais ne sont-ils pas deux éléments qui composent la nostalgie?
Des rues figées dans le temps
En sillonnant les trottoirs étroits dans Griffintown, je respire ce sentiment de nostalgie qui ne m'appartient pas. Cette culture et cette époque n’ont rien à voir avec moi. Pourtant, je m’y attache en toute liberté. Son éloquence vient du langage silencieux de son architecture iconique. On a parfois reproché à la ville de Montréal de ne pas se démarquer par son architecture comme si elle voulait demeurer modeste après Expo 67 et les Olympiades de 1976. Le nouveau pont Champlain en a réveillé quelques-uns de leur torpeur pour son débat entre le pragmatisme versus une signature iconique. Jusqu’où l’on peut donner carte blanche dépend de notre tolérance de l'architecture que je qualifie de générique. Au fond, l’architecture audacieuse ne doit-elle pas représenter notre culture identitaire? 
La revitalisation du quartier
Après mûre réflexion, un peu amusée par mes rêveries, je conclu que c’est le patrimoine qui prime et c’est pourquoi Griffintown est si important. Ses édifices en brique et aux grandes fenêtres, où jadis les gens travaillaient d'arrache-pied pour leur pain quotidien, sont maintenant des lofts boho ultra chic. Certes, il y a des condos minimalistes qui parsèment les rues de Griffintown, mais ce sont les grandes dames en brique rouge qui ont le dernier mot. Selon moi, si la valeur patrimoniale inhérente de l’architecture a été préservée, la transformation en valait la mèche. Donc garder la coquille de l'édifice pour transformer l'intérieur selon les nouveaux codes de bâtiment et les considérations écologiques est une approche réaliste. Cependant, le patrimonial a-t-il sa valeur pour toutes les cultures qui forment notre société? Est-ce
Les bistros boho chics de Griffintown
qu'il y a un discours ethnique plus important que les autres quand on veut conserver l'architecture dite ancestrale, pour ne pas dire iconique? C’est en regardant les annonces immobilières qu’on se pose souvent la question pour la désignation ancestrale d’une demeure. Donc, le patrimoine des familles souches a-t-il plus de valeur que le patrimoine des immigrants qui sont venus ici pour commencer une nouvelle vie avec une vision différente? Griffintown est la réponse  vivante de cette dichotomie et je peux vivre avec cette réponse car ses racines sont plus profondes que l'on croit.
L’histoire de Griffintown retourne loin dans son sens le plus pur du mot. En 1654, les Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph reçoivent ce fief qu’elles transfèrent en 1792 à Thomas McCord qui le
Maison des immigrants irlandais 1896
vend à Robert et Mary Griffin. Le canal de Lachine voit le jour en 1825 et la population commence à peupler le quartier. Ce sont des Irlandais débarqués de Grosse-Île en 1847 qui s’installent pour construire le pont Victoria et le canal de Lachine. Je m’imagine Griffintown à cette époque comme le quartier de Whitechapel à Londres pendant la même époque quand Jack L’Éventreur hantait les ruelles sombres en quête de nouvelles proies. La légende de Griffintown veut que Mary Gallagher
Lieu du meurtre de Mary Gallagher
, une prostituée assassinée brutalement par une autre femme, vienne hanter la rue William. Susan Kennedy, la meurtrière, aurait décapité la pauvre Mary à coups de hache pour déposer sa tête dans un panier parce qu’elle partageait le même client et que ce dernier semblait préférer Mary. Légende urbaine oblige, Mary revient tous les sept ans sur la rue William à la recherche de sa tête. Pour ma part, ma visite à Griffintown n’est pas pour rechercher la tête de cette pauvre femme, mais de dénicher quelques antiquités ou objets trouvés.


Donc, nous voilà sur la rue William à la recherche d’ARTÉ,  L’Artisan du Renouveau et de la Transformation Écologique, un centre de réemploi des écocentres de la ville de Montréal. Un de nos buts pour la construction de notre résidence est d'être écolo et ceci implique la réutilisation du matériel au lieu d'acheter tout du neuf. J’aime le contraste des formes et des textures anciennes avec les lignes épurées de nos plans de maison. C'est un beau dialogue entre les époques qui démontre non seulement une synergie symbolique, mais aussi un message important : que la réutilisation des matériaux du passé ou mis aux rebus est aussi noble que l’utilisation de la pierre et du bois comme matière première. La valeur ancestrale de ces pièces architecturales a une résonnance particulière parce qu'on lui donne une deuxième vie. La visite chez ARTÉ fait l’objet du prochain billet, car ce que nous avons trouvé vaut sa propre histoire.
Pour ce qui en est de Griffintown, nous reviendrons souvent, pas pour voir les nouveaux condos, mais pour marcher le long des grands murs en brique rouge qui nous chuchotent un passé qui fait partie de notre patrimoine parce qu’il y a eu plus d’un peuple ici qui a livré le même combat de vie. La preuve : nous sommes tous encore là.