vendredi 28 août 2015

Le sourire d'Annabel



Pierre travaille sur nos plans
Pierre est doué pour travailler avec les détails. Moi c’est le grand portrait. Notre focus est différent et c'est une belle complicité. Il y a tellement de choses qui m’échappent et que je compte sur Pierre pour cerner. De mon côté, j’ai toujours évité la linéarité. Je préfère les sauts quantiques pour analyser des systèmes complexes sans les rendre compliqués. Mon esprit de synthèse est mon outil de prédilection. Pourquoi aller de A à B en ligne droite quand on peut explorer et aller ailleurs? Je suis persuadée qu'il y a toujours plus qu'une solution et que la bonne réponse c'est celle qui marche. C’est mon modus operandi. Apparemment, mon conjoint trouve que je conduis ma Subaru de la même façon que je cogite, rarement en ligne droite. Mon excuse : j’ai appris à conduire en campagne et le paysage rural m’allume plus que de suivre une ligne blanche sur un ruban de macadam sans fin.
Revenons à nos moutons. Lorsque Pierre et moi parlons des plans de construction, nous disons essentiellement la même chose, car nous partageons la même vision, cependant, notre langage est différent. Par exemple, nous aimons la technologie, mais nous la voyons différemment. Pierre est très pratico-pratique. Moi non. Je veux voir qu’elles seraient d’autres applications pour le même bidule. Donc, lorsque nous discutons des plans de construction, notre interlocuteur doit agir comme un filtre et travailler intuitivement au niveau de notre subconscient. Ensuite, l’interlocuteur traduit la trame de notre pensée dans un langage vernaculaire. Ce n’est pas une mince affaire. Ainsi, que faire avec le langage silencieux de l’architecture? Ça prend le sourire d’Annabel.
Première rencontre de l'équipe sur le terrain
Nous avons rencontré Annabel Arsenault, architecte, lors de notre deuxième réunion avec Bruno Verge à Tergos. La première chose que l’on remarque chez Annabel est son air serein. Son regard franc est authentique et lorsqu’elle sourit, deux fossettes généreuses encadrent son sourire. Elle est très patiente et sa capacité d’écoute est impressionnante. Notre deuxième rencontre consistait dans la signature du contrat et notre première visite du terrain à Saint-Irénée où l’arpenteur-géomètre, Dave Tremblay, nous attendait avec son équipe. En route pour Charlevoix, je précisais nos idées pour les plans de la maison et j’ai remarqué qu’Annabel et Bruno prenaient des notes. Ils ne perdaient pas leur temps, ni le notre.
Arrivés au terrain, Pierre rassembla toute l’équipe pour cette rencontre préliminaire et il y eut un échange d’information et de stratégie. Avec les données de l’arpenteur-géomètre, on pouvait visualiser mieux l’emplacement de la maison, l’écoulement des eaux de surface, la localisation du puits artésien et de la fosse septique.  Le concret s’enracinait doucement comme par osmose. Une topographie 3D serait disponible pour faciliter la tâche des architectes pour bien ancrer la maison dans son environnement tout en protégeant ce dernier.
Bruno Verge nous partage sa vision.
Quand Bruno prit la parole, il parlait de volume et de matériaux nobles. Il expliquait comment la fenestration généreuse de la maison pourrait sculpter la lumière au cours des saisons.  Je voyais la maison s’ériger devant moi avec un style épuré, fusionnée à l’environnement et interpellant nos sens.  C’était loin des looks dans les magazines, le syndrome de la grosse maison surchargée de pignons en vinyle et de fausse pierre.  L’esquisse qu’il décrivait était intemporelle et avait une limpidité assurant une résidence performante intégrée à son environnement et respectueuse de notre bien-être. Pendant que Bruno partageait sa vision, Annabel prenait des photos et notait. Son silence était très éloquent. Elle voyait déjà notre quotidien et le potentiel de cette construction. Ensuite, nous sommes descendus au bord du fleuve. Toute cette mouvance bleue ne cesse d’impressionner les gens qui viennent voir notre terrain.  C’est presque une trêve obligatoire d’aller au bord de l’eau et de regarder vers l’infini.
La maison de mes ancêtres 
Finalement, en route pour notre retour à Québec, j’ai eu la chance de leur indiquer rapidement la maison de mes ancêtres à Château-Richer.  Sise sur la route Royale, on la voit de dos en passant sur la route 138. Construite entre les années 1790 et 1818, par François Rhéaume, elle est érigée sur une terre concédée en 1650. C’est en faisant mon arbre généalogique que je l’ai trouvé. J’expliquais à Annabel et à Bruno les émotions fortes que j’avais ressenties lorsque je l’avais vu pour la première fois.  Après avoir pris des photos, j’avais mis ma main sur un de ses murs et je lui avais murmuré : comme toi, nous sommes encore ici.
Château-Richer sur la Cöte de Beaupré
L’architecture, au-delà de tous les canons de la beauté, prend son importance parce qu’elle est la mise en scène de notre quotidien et de notre culture. Comme la maison de mes ancêtres, mon plus grand désir est que notre demeure à Saint-Irénée raconte notre petit bout d'histoire. Ayant dit ceci, je vis le sourire d’Annabel et je savais qu’elle avait tout compris.

La belle équation


Avez-vous déjà travaillé, avec une patience de bénédictin, pour résoudre un problème de maths au point où que vous en ayez la nausée? Le moment exact quand vous pensiez manquer d’oxygène, vous entendez le prof arriver et du haut de votre vision périphérique, un immense index descend lentement pour atterrir sur la page. Tout l’univers est arrêté, saisi dans le temps.  Retenant votre souffle, vous attendez le Big Bang. Parce que le prof est un professionnel avec tous les titres et les lettres de noblesse, il vous explique comment trouver la réponse sans vous la donner. Finalement, après une épiphanie et quelques illuminations de rigueur, vous trouvez la solution que vous transcrivez avec un grand soulagement sur la page qui vous attendait, et c’est à ce moment que la solution vous révèle son élégance. C’est la plus belle équation.  

J’ai souvent eu ce cauchemar quand je me sentais impuissante devant une situation que mon subconscient tentait d’élucider.  C’était du déjà vu quand vint le temps de trouver un architecte. Si vous n’avez jamais travaillé avec un architecte pour concevoir les plans de votre maison, je vous offre la visualisation suivante. Vous êtes assis devant une immense page blanche remplie de symboles. Le front perlé de sueur, vous respirez à peine pour ne pas trahir votre fébrilité. Ce n’est pas la maison de vos rêves, mais ce sont les idées de l’architecte et ce qu’il ou elle pouvait faire avec votre argent. Vous êtes maxés au bout parce que le prix au pied carré a doublé, plus taxe. Tout à coup, l’index tout puissant de l’architecte descend sur la page blanche pour vous guider à travers la maison de vos rêves que vous avez à peine à reconnaitre. On vous avait bien averti que travailler avec ces prima donna était un vrai supplice. De plus, ils ressemblent tous à Andy Warhol. Vous auriez pu acheter des plans dans un catalogue ou même une maison préusinée, mais non, vous vouliez une maison qui vous ressemblait, qui racontait votre histoire. L’architecte a tout deviné ceci et vous rend les esquisses. On se sent rapetissé, vraiment nul. En sortant de son cabinet, vous avez un goût amer dans la bouche. Vous auriez préféré aller chez le dentiste. C’est trop tard. Vous partez avec les plans sous votre bras droit parce que vous avez laissé votre bras gauche sur la table avec votre chèque.  Fin de la visualisation.

C’est ce que j’avais visualisé dans un flash quand mon conjoint me dit un soir, après avoir dessiné la nième version de notre maison, que nous avions besoin d’un architecte. Je refusais de croire que nous devions ajouter cette dépense à notre budget de construction encore moins, perdre l’équivalent d’une chambre à coucher pour nous le payer. Je ne voulais pas capituler. J’étais même insultée, mais voulant ma maison, je suis partie à la recherche d’un architecte.  Nous en avons interviewé quelques-uns. J’étais tellement méfiante, que je cherchais des indices pour voir s’ils étaient à notre écoute. Avant nos rencontres, on leur faisait parvenir les plans que Pierre avait dessinés pendant des mois ainsi qu’un document exhaustif avec toute l’information pertinente pour les préparer à la réunion. Dans une instance en particulier, l’architecte a complètement ignoré tout ce que nous avions préparé et nous a montré des plans déjà faits pour des maisons réalisées dans un projet antérieur. C’était du prêt-à-porter, exactement ce que nous ne voulions pas.  Si ce n’était pas le manque de connaissance en construction écolo de leur part, c’était le manque flagrant d’écoute participative. On parlait dans le vide.  Déçus, nous quittions encore plus perplexes, le bureau de l’architecte. C’est à ce moment que l’on pouvait ressentir la portée émotive de cette démarche. Il fallait trouver un architecte en qui nous aurions confiance, car nous lui confions notre dernière résidence, celle où nous allions vivre nos vieux jours en toute quiétude et autonomie. C’est pourquoi nous avons décidé de tout recommencer notre démarche en communiquant avec un autre technologue en architecture. Ce dernier écouta notre histoire et refusa poliment notre proposition. Cependant, il connaissait une bonne firme d’architectes à Québec qui avait raflé tous les honneurs dans le domaine de l’habitation écolo et il les recommandait fortement. Ceci dit, nous regardions leur site web et on communiqua avec eux pour les rencontrer. Dans deux semaines, nous allions rencontrer Bruno Verge, architecte chez Tergos Architecture et Construction écologique.

En lisant la page web de Tergos, nous étions intrigués par leur approche philosophique. C’est plus qu’une mission vision et elle va au-delà du branding typique utilisé dans le marketing des entreprises.  Tergos met l’accent sur la qualité de vie et qu’un monde plus vert commence chez soi. Ils disent même que pour changer le monde, il faut commencer par se transformer soi-même. Finalement, cette vision utopique est reliée à l’architecture verte et régénératrice.  Je vous avoue, en lisant leur affirmation, c’était comme regarder dans un miroir.  C’était rassurant.

Le matin de notre rencontre, nous nous dirigions à leur bureau sis dans l’ancien entrepôt de fourrures Wilfrid J. Lachance dans le vieux quartier de Saint-Roch à Québec.  Premier indice que le karma était positif : tout le monde souriait dans le bureau. Deuxième indice que les planètes s’alignaient en notre faveur : notre première impression de Bruno Verge.
Le quartier de Saint-Roch dans la ville de Québec




Les bureaux de Tergos
Assis dans une salle de conférence chaleureuse baignée de lumière naturelle, je me sentais détendue. Pierre commença son exposé, comme les autres fois et j’observais Bruno Verge.  Malgré un discours bien rodé, nous exposions nos désirs et besoins, parfois divaguant pour faire du coq à l’âne. Avec une grande délicatesse, Bruno Verge nous ramenait à notre fil d’idée ce qui nous indiquait qu’il nous écoutait vraiment. Ce qui a été le point de bascule pour nous est lorsque Pierre a mentionné qu’il était inquiet de l’éclairage sans préciser pourquoi. Bruno ramena la discussion pour s’enquérir au sujet de ses inquiétudes. C’est à ce moment que j’ai changé d’attitude. Travailler avec un architecte n'est pas une dépense excessive à faire grincer les dents. C'est un investissement  solide qui assure que nous atteindrons notre cible. On venait de trouver la perle cachée. De plus, Bruno viendrait voir notre terrain à Saint-Irénée pour visualiser la conception de notre résidence. En ce qui avait trait à l’architecture verte, nous parlions le même langage. Il ne fallait pas défendre notre point de vue. En regardant l’étagère dans la salle de conférence, on voyait les honneurs et mérites en architecture et construction verte attestant de la plus haute distinction. Le karma nous souriait. On était au bon endroit avec la bonne personne.

Après avoir cherché pendant des mois pour un professionnel qui prendrait le temps de nous écouter et de regarder les plans que Pierre avait réalisés laborieusement, nous l’avions finalement trouvé. En sortant du cabinet de Tergos, Pierre avait son sourire paisible et moi j’étais soulagée. On venait de trouver notre belle équation.