C’est en juillet 2014 que nous avons décidé naïvement, car
les canicules étaient omniprésentes, d’aller défricher notre terrain pour avoir
une idée où placer la maison sur le plateau. Nous avions repéré une borne entre
nous et le terrain voisin ce qui nous donnait une idée vague de la vraie
étendue du terrain. Sur les plans et Google Earth, on pouvait voir la propriété,
cependant dans le vrai monde, quand on marche sur un terrain encore en friche,
ce n’est pas évident du tout. De plus, Pierre était déjà dans la
conception du plan de la maison et il fallait explorer les possibilités d’accréditation
éco selon un système de pointage attribué à la position de la maison pour
l’ensoleillement et les vents d’hiver. De plus, on voulait maximiser notre vue
sur le fleuve pour les pièces que nous occuperions. L’œuf devait venir avant la
poule. On ignorait que la poule, on la trouverait en enfer.
Armés de nouveaux jouets coupants comme une tronçonneuse
pour laquelle on avait savamment visualisé la vidéo de formation, des
débroussailleuses et nos sandwiches, nous avons commencé le débroussaillage
d’un plateau où il nous semblait logique de situer la maison. Après quelques
heures de dur labeur pour deux intellos novices (lui coupait, moi je
ramassais), il était évident que nous avions sous-estimé la tâche. Primo, ce
n’était pas le meilleur temps de se lancer en plein bois pour défricher, car les
canicules étaient accablantes. Secundo, malgré nos meilleurs efforts, les
aulnes de l’enfer gagnaient. On aurait dit qu’elles se régénéraient au fur et à
mesure qu’on les coupait. Nos fameuses débroussailleuses étaient trop petites.
Il nous fallait une grosse Bertha. Tertio, le plus qu’on croyait faire du
progrès, le plus qu’on réalisait à notre plus vive déception, que la superficie
que nous avions défrichée était minuscule. Tous les soirs, nous reprenions la
route la tête basse. Après une douche bien méritée, on allait se coucher avant
les poules pour récupérer nos forces et soigner nos courbatures imaginaires et
réelles.
Nous avons répété cet exercice pendant deux semaines sauf la
fin de semaine quand nous revenions à Gatineau pour nous ravitailler. La
troisième semaine, tout en coupant le bois et gémissant quelques paroles
ecclésiastiques, on entendit le ronronnement d’une pelle mécanique. Enfin, un
signe de civilisation parmi les aulnes de l’enfer! Le bruit de la pelle mécanique venait de chez
notre voisine qui faisait creuser son puits. Je n’ai point besoin d’allonger le
récit. En un clin d’œil, nous avions embauché Claude Tremblay, d’Excavation TB
qui, après avoir inspecté le terrain, nous annonça qu’il prendrait le contrat
et qu’il défricherait la zone désirée en plus d’empiler les arbres qui seraient
bons pour le bois de foyer. Les planètes
venaient de s’enligner.
Quelques semaines
plus tard, comme promis, Claude défricha la zone et le palier apparut
miraculeusement devant nous. Pour la première fois, on pouvait visualiser à peu
près où la maison serait située. Il ne restait maintenant que revenir à la
première neige pour brûler l’immense tas de débris que Claude avait gentiment
tassé pour nous au centre de la zone.
Novembre, la première neige venait à peine de tomber que
nous étions revenus au terrain avec notre plan de match pour brûler notre
fameux tas d’arbres. Je me souvenais
d’avoir vu les fermiers brûler les arbres dans leurs champs et le tout semblait
simple. Appelle la municipalité pour les avertir. Allume. Surveille. Attends.
Finito! Pour ajouter à notre stratégie,
j’ai visualisé des vidéos sur YouTube pour voir comment les autres s’y prenaient
pour brûler en toute sécurité et avec efficacité.
Armés de tout notre attirail, nous avons allumé le feu vers
les 9h du matin. Le vent était calme et le feu était docile. La municipalité
avait été avertie et quand les voisins passaient pour vérifier d’où venait la
fumée, on se donnait une allure que nous savions exactement ce que nous
faisions et on leur faisait signe que tout était beau. Vers midi, en mangeant nos sandwichs, on
pouvait voir que les vraquiers suivaient la côte du fleuve un peu plus près que
d’habitude. Sans doute qu’ils regardaient le feu. On leur faisait des signes avec un grand
sourire comme s’ils pouvaient nous voir. Je pouvais m’imaginer le capitaine du vraquier nous
regarder avec des jumelles et hocher de la tête.
Vers les 15 h 30, il était évident que la saga du
gros tas allait s’éterniser. La pénombre
s’annonçait et le feu brûlait encore. Envisageant que nous passerions la soirée
à surveiller le feu, je suis allée chercher des ravitaillements au Métro de La
Malbaie. Je savais que je sentais la boucane,
cependant, il aurait fallu jeter un coup d’œil dans le rétroviseur avant de
débarquer de la voiture pour acheter notre souper. J’ai remarqué que dans le Métro, les enfants avaient peur de
moi et que leurs parents avaient la bouche bée. Néanmoins, j’ai
terminé mes emplettes.
Arrivée au terrain, je servais notre souper dégusté non à la
chandelle, mais devant un feu qui ne voulait pas mourir. C’était de toute
beauté. La nuit avait apporté ses étoiles. À Charlevoix, le ciel étoilé est un
des meilleurs attributs de la région. Il y a même un Observatoire astronomique à La
Malbaie. Les vraquiers continuaient à
sillonner la côte avec toutes leurs lumières. On aurait dit des forteresses
flottantes. Le gros tas d’arbres avait sensiblement baissé et nous regardions
le brasier continuer à briller dans la nuit.
Les cendres rouges avaient l’air de la lave. De temps en temps, on se
levait pour brasser les cendres ou les souffler avec le souffleur à feuille pour
hâter le processus. Finalement, vers les 22h30, c’était fini.
En retournant au Domaine Forget où nous avions loué un
studio, nous avons eu la surprise de notre vie. En se dévêtant, on s’est vu
pour la première fois dans le miroir de la salle de bain. Crampés, on ne pouvait
pas arrêter de rire. Nos figures étaient noires comme l’ébène. C’est à ce
moment que j’ai réalisé pourquoi les enfants avaient eu peur de moi au Métro.
Le lendemain matin nous sommes retournés voir le résultat de
notre feu. La chaleur avait été si
grande que la terre sous le feu avait cuit. Satisfaits que tout fût en ordre,
nous sommes allés faire une marche sur le bord du fleuve en lui promettant
qu’on reviendrait au printemps pour arpenter.
La morale de cette histoire. Même si les colons ont
visualisé la vidéo de formation sur les tronçonneuses, le bois est loin d’être
coupé. Quand ça prend une grosse Berta, ça en prend une pour le vrai. La prochaine fois, faire des plus petits tas
pour avoir une vie. Se regarder dans le miroir avant d’aller chez Métro pour ne
pas faire peur aux enfants. La descente
en enfer arrive vers les 21 h 30 du soir après plus de douze heures
de surveillance quand tu réalises que tu es encore pris avec un maudit tas qui
ne veut pas finir de brûler puis qu’il ne reste plus de croustilles ou de
papier de toilette. Une consolation : au moins en novembre, les
maringouins n’étaient pas trop féroces.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire