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Griffintown 1896 |
Je suis une flâneuse subversive. Pendant que je marche dans Griffintown, un des quartiers les plus anciens de Montréal, je pense aux symboles d’outre-tombe
ou plutôt à ce prolongement d’une conscience qu'une époque hante encore son ancien quartier. Cette conscience, je la perçois dans le langage secret de l'architecture. Je la recherche pour qu'elle me parle. Je veux qu'elle m'explique pourquoi un quartier, qui puise ses racines irlandaises enfouies dans la misère, nous porte à croire qu’il
y a une beauté inhérente dans l’architecture qui a habité tout ce grand dénuement. Pourtant,
les édifices stoïques sont loin d’être opprimants malgré
leur caractère autoritaire qui nous rappelle la situation économique qui les a
érigés. Je pense à ma mère quand on marchait dans la basse-ville à Ottawa et qu'elle jetait un regard attendri sur les vieilles
maisons qui soupiraient le long des rues qui avaient connu l’accent des Franco-ontariens
et des familles juives au début du siècle dernier. Elle disait toujours dans un
demi-soupir : ah si les murs pouvaient parler. Je ne me souviens plus si
je pouvais détecter un sentiment de regret ou de résignation, mais ne
sont-ils pas deux éléments qui composent la nostalgie?
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Des rues figées dans le temps |
En sillonnant les
trottoirs étroits dans Griffintown, je respire ce sentiment de nostalgie qui ne m'appartient pas. Cette culture et cette époque
n’ont rien à voir avec moi. Pourtant, je m’y attache en toute liberté. Son éloquence vient du langage silencieux de son
architecture iconique. On a parfois reproché à la ville de Montréal de ne pas
se démarquer par son architecture comme si elle voulait demeurer modeste après
Expo 67 et les Olympiades de 1976. Le nouveau pont Champlain en a réveillé
quelques-uns de leur torpeur pour son débat entre le pragmatisme versus une
signature iconique. Jusqu’où l’on peut donner carte blanche dépend de notre tolérance de l'architecture que je qualifie de générique. Au fond, l’architecture audacieuse ne doit-elle pas représenter notre
culture identitaire?
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La revitalisation du quartier |
Après mûre réflexion, un peu amusée par mes
rêveries, je conclu que c’est le patrimoine qui prime et c’est pourquoi
Griffintown est si important. Ses édifices en brique et aux grandes fenêtres, où jadis les gens travaillaient d'arrache-pied pour leur
pain quotidien, sont maintenant des lofts boho ultra chic. Certes, il y a des
condos minimalistes qui parsèment les rues de Griffintown, mais ce sont les
grandes dames en brique rouge qui ont le dernier mot. Selon moi, si la valeur patrimoniale inhérente de l’architecture
a été préservée, la transformation en valait la mèche. Donc garder la coquille de l'édifice pour transformer l'intérieur selon les nouveaux codes de bâtiment et les considérations écologiques est une approche réaliste. Cependant, le patrimonial a-t-il sa
valeur pour toutes les cultures qui forment notre société? Est-ce
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Les bistros boho chics de Griffintown |
qu'il y a un discours ethnique plus important que les autres quand on veut conserver l'architecture dite ancestrale, pour ne pas dire iconique? C’est en regardant
les annonces immobilières qu’on se pose souvent la question pour la désignation
ancestrale d’une demeure. Donc, le patrimoine des familles souches a-t-il plus de
valeur que le patrimoine des immigrants qui sont venus ici pour commencer une nouvelle
vie avec une vision différente? Griffintown est la réponse vivante de cette dichotomie et je peux vivre avec cette réponse car ses racines sont plus profondes que l'on croit.
L’histoire de Griffintown retourne loin dans son sens le
plus pur du mot. En 1654, les Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph
reçoivent ce fief qu’elles transfèrent en 1792 à Thomas McCord qui le
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Maison des immigrants irlandais 1896 |
vend à Robert
et Mary Griffin. Le canal de Lachine voit le jour en 1825 et la population
commence à peupler le quartier. Ce sont des Irlandais débarqués de Grosse-Île
en 1847 qui s’installent pour construire le pont Victoria et le canal de
Lachine. Je m’imagine Griffintown à cette époque comme le quartier de Whitechapel à Londres pendant la même époque quand Jack L’Éventreur hantait les
ruelles sombres en quête de nouvelles proies. La légende de Griffintown veut
que Mary Gallagher
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Lieu du meurtre de Mary Gallagher |
, une prostituée assassinée brutalement par une autre femme, vienne hanter la rue William. Susan Kennedy, la meurtrière,
aurait décapité la pauvre Mary à coups de hache pour déposer sa tête dans un panier parce qu’elle
partageait le même client et que ce dernier semblait préférer Mary. Légende urbaine oblige, Mary revient tous les sept ans sur la rue William
à la recherche de sa tête. Pour ma part, ma visite à Griffintown n’est pas pour
rechercher la tête de cette pauvre femme, mais de dénicher quelques antiquités
ou objets trouvés.
Donc, nous voilà sur la rue William à
la recherche d’ARTÉ, L’Artisan du Renouveau et de la Transformation Écologique, un centre de réemploi des écocentres de la ville de Montréal. Un de nos buts pour la construction de notre résidence est d'être écolo et ceci implique la réutilisation du matériel au lieu d'acheter tout du neuf. J’aime le contraste des
formes et des textures anciennes avec les lignes épurées de nos plans de maison. C'est un beau dialogue entre les époques qui démontre non seulement une synergie symbolique, mais aussi
un message important : que la réutilisation des matériaux du passé ou mis
aux rebus est aussi noble que l’utilisation de la pierre et du bois comme matière première. La valeur
ancestrale de ces pièces architecturales a une résonnance particulière parce qu'on lui donne une deuxième vie. La visite chez ARTÉ fait l’objet
du prochain billet, car ce que nous avons trouvé vaut sa propre histoire.
Pour
ce qui en est de Griffintown, nous reviendrons souvent, pas pour voir les nouveaux
condos, mais pour marcher le long des grands murs en brique rouge qui nous chuchotent un passé qui fait partie de notre patrimoine parce qu’il y a eu plus d’un
peuple ici qui a livré le même combat de vie. La preuve : nous sommes tous
encore là.
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